Déradicalisation

Un mot nouveau est apparu : « déradicalisation ». Franchement, arrivez-vous à le prononcer sans buter sur au moins l’une des syllabes ? Quand on revient à son origine, c’est déjà plus simple. Pour déradicaliser, il faut qu’il y ait eu une radicalisation. Et une radicalisation vient d’un choix radical, c’est-à-dire l’attachement à une racine.
Nous y voilà donc : déradicaliser, c’est extraire la racine, sous-entendu la racine du mal. Ainsi, quand je tentais, avec plus ou moins de succès, de désherber mon jardin en retirant les racines envahissantes, j’ignorais que je pratiquais une déradicalisation. Le mot n’existait pas encore.
Mais déradicaliser n’est pas l’apanage des jardiniers luttant contre liserons ou chardons rebelles. La médecine en fait aussi son quotidien, cherchant à supprimer la racine des maux qui affectent le corps. Ceci avec des techniques de plus en plus élaborées, accompagnées de plus ou moins de succès. Déradicaliser, c’est aussi le souci des psychiatres et psychologues : tenter de faire sortir ce qui ronge l’âme en profondeur.
Le bouddhisme n’enseigne-t-il pas d’extraire tout désir de nos pensées, y compris nos sentiments d’affection ? Ces sentiments envers les autres pourraient bousculer notre sérénité. Toutes les religions sont soucieuses de déradicalisation. L’islam voit la nécessité de supprimer sur cette terre tout ce qui nuit à la vraie foi, et par conséquent les porteurs de nuisances. Avec plus ou moins de brutalité selon les époques et les lieux.
Le christianisme n’est pas en reste : n’a-t-il pas créé au 13ème siècle un service spécialisé en déradicalisation, la trop célèbre Inquisition ? Et 3 siècles plus tard, la déradicalisation s’en prenait encore à des chrétiens jugés… radicalisés ! Avec bien sûr des méthodes… radicales. Le 20 mai 1527, les autorités religieuses et politiques du doux pays de Bade-Würtemberg coupèrent la langue de l’ancien moine Michael Sattler coupable d’enseigner publiquement l’Evangile, avant de le brûler aux fers et l’envoyer au bûcher. Son épouse fut noyée 2 jours après dans le Neckar. Déradicaliser en enlevant la vie… c’est logique.
Maintenant, c’est au tour des services de l’Etat républicain de s’atteler à la déradicalisation. Quoi de plus louable que déraciner le mal conduisant certains à des comportements dangereux pour la société ? Même si la méthode a certainement gagné en discernement et en humanité, une interrogation s’impose. Par quoi a-t-on prévu de remplacer le trou béant résultant du déracinement envisagé ? L’offre républicaine laïque d’une devise, d’un hymne et d’un drapeau paraît bien pauvre à ceux qui ont rêvé d’instaurer le règne de Dieu sur terre avant d’accéder à un merveilleux paradis ? L’homme ne vit pas de pain seulement, disait Jésus ; il a besoin de racines donnant du sens à la vie.
Jésus s’est occupé du mal à notre place, sur la croix. Et s’il déracine, c’est pour replanter de saines racines. « Que le Christ habite dans vos cœurs par la foi, et que vous soyez enracinés et fondés dans l’amour » (Ephésiens 3 :17).
La bonne nouvelle, c’est qu’il existe une radicalisation porteuse de vie…
Pierre Lugbull