L’important, au final, c’est quoi ?

L’important dit l’épidémiologiste est de stopper la pandémie si l’on veut survivre, alors on confine la population. L’important dit le psychologue est de maintenir les relations sociales, alors on doit entrouvrir les portes fermées. L’important dit l’économiste est de remettre l’activité en route si l’on veut éviter la misère, alors il faut relancer la production. L’important dit le pédagogue est l’émulation mutuelle des élèves, alors les écoles se remettent à les accueillir. L’important dit le religieux est d’apporter un peu de quiétude, alors rouvrons les lieux destinés à consommer des biens sacrés.

Perdu dans ces impératifs aussi étayés que contradictoires, le citoyen confiné conclut : l’important est d’avoir suffisamment à manger, alors il stocke des pâtes. On peut mettre en doute la validité de cette réflexion, mais elle témoigne d’un instinct de survie concret. Que celui qui n’a pas été tenté par cette démarche jette la première pierre !

L’important devient difficile à discerner quand tout est important. Elevons donc nos pensées au-dessus des contingences du moment ! Les professionnels de la culture l’affirment, c’est le moment de nourrir l’âme de chacun. Quand Pascal Obispo chante « L’important, c’est d’aimer… l’important c’est donner et ne rien demander… », n’est-ce pas bienvenu dans le morne quotidien ?

Jésus n’aurait certainement pas été contre un tel programme. « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » disait-il. Depuis, bien des chansons ont célébré l’amour, au long des siècles et dans toutes les cultures. Jésus disait aussi : « L’homme ne vivra pas seulement de pain » ; aujourd’hui, il pourrait préciser : il ne vivra pas non plus de pâtes. 

Les spécialistes en bien-être nous abreuvent de méthodes censées nous élever au-dessus des réalités trop grises. Branchez-vous sur la spiritualité conseillent-ils, mélangez-en plusieurs si nécessaire. L’important est de se sentir bien, oubliant inquiétudes et contraintes. Le bon Dr Coué n’est pas loin.

Oui, Jésus disait : « L’homme ne vivra pas seulement de pain », mais il ajoutait aussitôt : « il vivra de toute parole prononcée par Dieu ». Houlà, ça sonne franchement exclusif. Un produit inadapté au supermarché des spiritualités, non conforme aux attentes de la clientèle. Cette Parole de Dieu, que peut-elle m’apporter, alors que les méthodes douces procurent l’apaisement passager dont j’ai besoin de temps à autre ?

Jésus n’est pas trop du genre bien-être occasionnel. Un jour, alors qu’il se trouvait dans une famille, la maîtresse de maison s’affairait à préparer le repas tout en maugréant. Jésus l’interpella : « Marthe, Marthe, tu t’inquiètes pour beaucoup de choses, une seule est nécessaire ». Et de lui citer en exemple sa sœur Marie qui prenait le temps d’écouter sa parole. Pourtant Jésus s’attablera, ne négligeant pas le repas préparé. Contradiction ?

Jésus souhaitait que Marthe comprenne une chose : elle pouvait accomplir sereinement ses tâches matérielles certes utiles, si elle discernait l’essentiel. L’essentiel ? Une vie vécue tout entière dans la proximité bienveillante de Dieu, pas un bien-être passager. Car, outre le pain, c’est la Parole de Dieu qui fait vivre pleinement.

Pierre Lugbull