Ah les fameuses « petites phrases » ! Ces incontournables de la vie politique destinées à frapper les esprits. Des formules réfléchies ou échappées involontairement, élevées au rang de fondement de la pensée de leur auteur. Et pour condenser encore un peu plus cette pensée, on n’hésite pas à les tronquer pour n’en garder que 3 ou 4 mots.
La pratique n’est pas nouvelle. Qui ignore le fameux « l’Etat, c’est moi » attribué à Louis XIV, sans être certain qu’il l’ait prononcé ? Mais l’essentiel est dans l’exploitation que l’on peut faire de ces petites phrases : glorifier leur auteur ou, plus souvent, le fustiger. Si certaines petites phrases sont aussi vite oubliées qu’elles ne sont apparues, il en est d’autres qui s’inscrivent durablement dans les mémoires.
Ainsi, dans les années 1980, en pleine explosion du Sida, les transfusions sanguines ont continué à utiliser encore un temps du sang contaminé. Convoquée par la suite devant les juges, la Ministre de la Santé déclara : « Je me sens profondément responsable ; pour autant, je ne me sens pas coupable, parce que vraiment, à l’époque, on a pris des décisions dans un certain contexte, qui étaient pour nous des décisions qui nous paraissaient justes ». Aussitôt prononcées ces paroles étaient réduites à quelques mots : « Responsable mais pas coupable ». Un slogan suffisant pour jeter l’accusée en pâture à la foule comme les sorcières d’antan. Pourtant l’argumentaire, défendable ou non, aurait mérité une réflexion. Pourquoi pas comme sujet d’une dissertation étayée ?
Si la vie politique se délecte de petites phrases d’origine non contrôlée, aucun domaine n’échappe à la dominance de l’anecdotique. Il me vient l’exemple de la cantatrice catalane Montserrat Caballé, célèbre soprano du 20ème siècle. Aucun média n’oublia de souligner qu’elle avait chanté une chanson avec Johnny Hallyday… Une carrière internationale prestigieuse ramenée à un détail mineur.
Dans un autre domaine encore, que retient-on de la Bible à part quelques anecdotes plus ou moins arrangées ? Eve croquant la pomme, Jonas avalé par une baleine, Thomas qui ne croit que ce qu’il voit, et même Marie-Madeleine compagne de Jésus… Ou alors ce sont des petites phrases vidées de leur sens : « Les voies du Seigneur sont impénétrables », « L’Esprit souffle où il veut » … Munies de tels bagages aussi légers que douteux, les foules dissertent sur Dieu, répétant à l’envi quelques formules vides de sens, mais jugées suffisantes pour se positionner avec assurance.
L’Evangile de Jean rapporte une discussion entre deux hommes, Philippe et Nathanaël : qui est ce Jésus dont on commence à parler ? Philippe voit en lui le Fils de Dieu, Nathanaël estime que c’est impossible, vu ses origines. « Viens et tu verras » rétorque Philippe. Une petite phrase, mais celle-là n’entre pas dans la catégorie des slogans superficiels. Elle invite au contraire à ne pas se contenter de l’écume des choses. Elle invite à plonger jusqu’au cœur de la vie : « Va à sa rencontre et tu verras ! ».
Pierre Lugbull