La volonté du peuple

Une élection de plus et, comme d’habitude, personne n’a vraiment gagné et personne n’a vraiment perdu. Chacun sait que la majorité des gens aspire à un autre choix que ce que les urnes ont tranché. Alors, les déçus de l’arithmétique électorale n’hésitent pas à se déclarer seuls porteurs des espérances du peuple.

Ces temps d’élection sont aussi l’occasion d’en appeler aux grands mythes révolutionnaires : « Nous sommes ici par la volonté du peuple, nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes ! » clamait-on en 1789. La volonté du peuple, ça ne se discute pas, ça s’impose. Aujourd’hui, la volonté du peuple s’exprime par des défilés bruyants, des marches silencieuses, des échauffourées violentes, des nuits debout, des sit-in… La volonté du peuple est diverse, mais elle doit s’imposer.

Il y a bien longtemps, alors que le peuple hébreu, sous la conduite de Moïse, venait de fuir l’Egypte, la question du choix de son avenir s’est posée. Une manifestation populaire a exigé des proches de Moïse un changement de régime où la vie serait plus facile. La révolution libératrice s’est imposée avant de sombrer dans un désastre.

Bien plus tard, Jésus a été confronté malgré lui à la volonté du peuple. Pour les uns futur libérateur des troupes d’occupation, et pour d’autres destructeur des valeurs culturelles et religieuses. Ainsi, acclamé par la foule lors d’une de ses venues à Jérusalem, Jésus vit, quelques jours plus tard, la foule réclamer sa tête… Manière radicale de dire « Dégage » à l’époque.

On dit volontiers que la foule est versatile. Mais la Bible ne cache pas les dessous de cette affaire. Elle précise que la foule a été retournée par des infiltrés répandant quelques « vérités » arrangées. Cela a suffi pour retourner les manifestants. Cette foule représentait-elle les véritables intérêts du peuple ? Même dans les urnes, la question se pose. Mes choix sont-ils bien pesés, soucieux du bien de tous ?

Il fut un temps où en France, le Roi se prétendait l’élu de Dieu, et, en complice intéressé, le pouvoir religieux le confortait. Mais n’est pas Moïse qui veut. Après des siècles de pouvoir autoritaire, cette contrefaçon du Messie finit par s’écrouler.

Quand Jésus parle de son Royaume, on chercherait en vain une quelconque similitude avec cet ancien pouvoir royal écrasant. Et tout aussi en vain, une quelconque similitude avec la satisfaction de la volonté du peuple. Jésus, lui, a reçu de Dieu mission de sauver de la destruction une humanité engluée dans ses mauvais choix. Son programme est sans équivalent : 

« Venez auprès de moi, vous tous qui portez des charges très lourdes et qui êtes fatigués, et moi je vous donnerai le repos. Je ne cherche pas à vous dominer. Prenez donc, vous aussi, la charge que je vous propose, et devenez mes disciples. Ainsi, vous trouverez le repos pour vous-mêmes. »

Franchement, répondre à cet appel n’est-il pas plus tentant que la voie des invectives incessantes censées défendre le bien du peuple ?

Pierre Lugbull