Caricatures

Impossible d’échapper à l’émotion légitime créée par l’assassinat d’un professeur accusé de blasphème. Comment une telle cruauté peut-elle habiter un individu et le conduire à cette horreur ? La conclusion a été vite trouvée : le tueur est le produit de la superstition et de l’obscurantisme religieux. Qui pourrait contester raisonnablement que le fanatisme religieux n’a pas commis les pires crimes et asservi des peuples entiers au long des siècles ? C’est une réalité.

Un meurtre pour une caricature jugée blasphématoire, le prix est disproportionné. Dans notre société éclairée, tout doit pouvoir être caricaturé : plus de tabou ! Notre siècle laïc a donc généré des caricatures se voulant guider le peuple hors de l’obscurantisme, sans tabou. Chacun est appelé à en faire son étendard et son bréviaire. Des caricatures devenues « culte » … un comble ! 

Aucun tabou ? On a vu clouer au pilori des caricatures mettant en scène des femmes politiques à la peau noire. Et qui oserait encore caricaturer un juif en l’affublant de traits qui pourtant faisaient s’esclaffer notre pays des Lumières au siècle dernier ? N’y a-t-il pas l’aveu d’une certaine culpabilité envers des populations entières ? L’aveu d’avoir incité au mépris, le mépris enfantant le rejet, et le rejet enfantant la haine. Est-on certain d’être mieux inspiré aujourd’hui que les caricaturistes des siècles passés dont on renie maintenant les œuvres ?

Un caricaturiste des temps anciens mériterait davantage d’attention. Il pourrait recentrer utilement la pertinence de ce moyen d’expression. Sans même un crayon, il n’avait pas son pareil pour croquer d’un mot les religieux de son époque : « sépulcres blanchis », « religieux filtrant un moucheron et laissant passer un chameau ». Des mots suggérant des scènes cocasses et visant juste, sans tabou.

Par ces images percutantes, Jésus dénonçait les dérives de la religion de son peuple, sa propre religion juive. Jésus se préoccupait d’abord de ses compatriotes prisonniers d’un lourd carcan religieux. Impitoyable avec un clergé étouffant le peuple tout en déformant l’image de Dieu, Jésus exprimait de la compassion envers ceux qui en étaient victimes. 

Quant aux Romains, ces étrangers envahisseurs aux pratiques cultuelles barbares, Jésus ne les a pas intégrés dans ses caricatures. Il avait conscience qu’aucun de ces Romains ne pouvait sortir de l’obscurantisme tant que son peuple, le peuple juif qui avait reçu la vocation d’éclairer le monde, ne serait pas lui-même libéré de ses propres chaînes.

On a pu entendre que le professeur de collège était mort pour la liberté de l’humanité. Il serait mal venu d’émettre un jugement de valeur sur cette affirmation. Mais pourquoi Jésus, torturé jusqu’à la mort, sacrifié au nom d’une pratique religieuse dévoyée, n’a-t-il pas droit à la même considération ? Il est vrai qu’il a dit être le Christ, le Fils de Dieu. Quelle incongruité dans le cercle des libérateurs de l’humanité, caricaturistes ou non. Si au moins, il s’était déclaré athée, il aurait peut-être eu droit à une petite place au Panthéon. Mais n’est pas reconnu libérateur de l’humanité qui veut.

Pierre Lugbull