Derrière l’image

Le poids des mots, le choc des photos ! Il n’est pas si loin le temps où nous attendaient des piles de revues et d’hebdomadaires dans les salles d’attente des médecins ou dentistes ou chez le coiffeur. Censés nous faire patienter, ces illustrés se devaient de capter notre attention par leurs photos et leurs titres plus ou moins racoleurs. Cela c’était avant… avant la crise sanitaire qui a transformé les salles d’attente en chambres monacales. 

La nature ayant paraît-il horreur du vide, les salles d’attente ont vu s’épanouir une espèce qui avait déjà commencé à éclore. Désormais, le son du froissement des pages de magazines a laissé place aux bips plus ou moins mélodieux ponctuant le glissement de pouces fébriles sur les portables. 

Le poids des mots s’est peu à peu éclipsé devant le choc des photos, ou plutôt le choc des images. Des images que les compagnons électroniques reçoivent à très haut débit jusqu’à saturer nos sens. Pas le temps de s’arrêter, l’image suivante est déjà là, encore plus forte, encore plus émotionnelle…

Cette course à l’image m’a rendu d’autant plus sensible à la volonté de trouver le bon équilibre mots/images lors d’une émission de la série dominicale « Présence Protestante ». Il s’agissait de présenter, à titre d’exemples, quelques actions chrétiennes, plus spécifiquement au Tchad. Rien de spectaculaire : travail médical dans un quartier très excentré de N’Djamena, enseignement scolaire de la maternelle au bac, bref rien d’inattendu.

La part belle était laissée aux acteurs locaux commentant leur travail, images et mots pesant du même poids. Pas de quoi appâter le chaland… Pourtant le chaland aurait bien fait de s’attarder un peu en ce dimanche matin.

D’abord, un message clair, répété : nous expliquons aux malades comme aux enfants ce qui nous anime : l’amour du Christ. Là, je sens les oreilles occidentales se dresser. C’est donc du prosélytisme ? Comment osent-ils cette atteinte à la différence ? Eh oui, ils assument soigner ou éduquer indifféremment chrétiens, musulmans et animistes, au nom de leur foi en Jésus-Christ. 

Pourtant, nombre de musulmans confient l’éducation de leurs enfants à ces écoles où l’évangile est enseigné. Simplement parce qu’ils voient de bons fruits dans la vie de leurs enfants. Sacrilège laïque républicain ! Pas d’affolement, la laïcité tchadienne ne se conjugue pas comme sous nos latitudes.

Plusieurs séquences n’ont été accompagnées d’aucun commentaire : des salles de classes ou des cours de récréation dans lesquelles des garçons côtoient, jouent ou discutent avec des filles cheveux au vent, ou arborant voiles ou turbans unis ou bariolés. Des jeunes ayant pu découvrir au cours de leur scolarité qu’ils ont le même Père, un Père qui les aime jusqu’à s’offrir lui-même pour les rendre libres. Des jeunes ayant appris à se parler, à se respecter, à s’apprécier. De quoi bousculer des siècles de pesanteurs.

Ces images-là ne sont-elles pas la meilleure démonstration d’une laïcité vécue dans la fraternité ? Bien loin de la méfiance. Car la liberté est en Christ, pas dans une loi !

Pierre Lugbull