Identités

Les gouvernants de tous les temps et de tous peuples ont toujours aimé compter les populations qu’ils administraient. Montrer leur gloire en alignant le plus grand nombre de sujets ou s’assurer du réservoir d’hommes recrutables pour mener une guerre en ont été l’une des motivations. Mais déterminer le montant des impôts qu’on pouvait espérer prélever était la priorité. 

Au cours des siècles, les recensements prirent diverses formes. Ainsi, la France du Moyen-âge comptait en feux, c’est-à-dire en familles selon le vocabulaire de l’époque. Loin des recenseurs l’image idyllique de la famille réunie autour de l’âtre ! Ils comptaient les sources possibles d’imposition. Préoccupés du montant à exiger, ils n’oubliaient pas non plus la part qu’ils garderaient pour eux. 

L’Eglise, elle, comptait en âmes, un parfum spirituel couplé à une bien belle appellation. Mais que faire de ceux à la peau noire dont on ne savait trop s’ils avaient une âme ? Sans compter la difficulté à faire le tri entre les âmes méritant vraiment de figurer dans le registre. Bien sûr, ces époques anciennes sont révolues. Pourtant on évoque toujours volontiers une commune de 5 000 âmes, des âmes laïques bien sûr ! Quant aux feux, ils sont devenus… des foyers fiscaux ! L’aspect chaleureux de l’impôt a donc finalement été sauvé lui aussi !

Alors quelle identité retenir ? La Révolution de 1789 a promu le nom de Citoyen, tous étant « égaux, également admissibles à toutes les dignités ». Cette belle identité du citoyen nouveau méritait quand même quelques précisions. Ainsi, fort opportunément, il fut ajouté avec délicatesse que chacun avait « le droit de constater la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement ». Impôt quand tu nous tiens…

Aujourd’hui, plutôt qu’être identifiée en feux, en âmes ou en citoyens, la population est composée de consommateurs. Qui peut ignorer que la France est peuplée de « 60 millions de consommateurs » ? Un titre, soit dit en passant, qu’il faudra réactualiser. Mais qu’importe, consommateurs c’est bien là notre identité et pas seulement pour le magazine aux célèbres enquêtes commerciales.

Qui oserait se soustraire au devoir de consommer à la fois malin, local ou bio ? Comment faire le bon choix sans que cela monopolise notre énergie et notre temps ? Bien consommer n’est plus à la portée de tous, et cela fatigue. Comment surnager sans noyer notre stress dans la consommation d’autres biens aux vertus apaisantes, qu’ils soient culturels ou touristiques ? 

Dans nos désarrois de consommateurs, Dieu a pourtant une autre proposition : « Celui qui a soif, je lui donnerai à boire gratuitement de l’eau de la source qui donne la vie » (Apocalypse 21.6). Gratuitement ! Parce qu’il ne nous voit pas comme des consommateurs à capter, mais comme des êtres dont il se soucie. Et ceci dans un objectif : nous appeler à passer de l’obscurité à sa lumière pour faire de nous son peuple, un peuple libéré ! (cf 1 Pierre 2.9). Une nouvelle identité qui chamboule toutes nos perspectives.

Pierre Lugbull