Vraiment ?!

Il y a vraiment des mots dont on ne peut plus se passer ! Ah, je viens de le prononcer une fois de plus ! Vous l’avez remarqué ? C’est vraiment tout moi ça… Ah non, pas encore ! Voyez-vous de quel mot je veux parler ? Malheureusement, il est fort probable que dès la fin de cet article votre esprit sera obnubilé par le repérage du mot « vraiment » dans toutes les phrases que vous entendrez. Peut-être même que vous vous sentirez coincés quand cet adverbe se présentera sur le bout de vos propres lèvres ! En y étant attentif, vous vous rendrez compte à quel point ce mot est vraiment (désolé !) devenu difficile à remplacer. 

On peut l’utiliser comme ici : “il n’a pas vraiment mal à la tête”. Dans cette phrase, on s’intéresse à la véracité d’un fait particulier. Question : “a-t-il mal à la tête, oui ou non ?” Réponse : “non, pas vraiment”. Dans ce sens, le mot “véritablement” aurait lui aussi tout à fait pu convenir. 

Une utilisation un peu plus archaïque est l’interjection ! De cette manière, on peut dire sa surprise ou son exaspération comme dans cette phrase tirée de la page Wikipédia correspondante : “On ne s’en sortira jamais tant que notre pays sera dirigé par des voleurs et des anciens rebelles. — Vraiment !”. Chez Larousse, avec une phrase moins polémique, on a : “Ah ! vraiment, on ne peut pas te faire confiance !”. 

Mais l’adverbe peut aussi être utilisé pour affirmer quelque chose de manière plus forte : “ce livre est vraiment très intéressant”, ou, “ce film était vraiment bien !”. Dans ces deux phrases, notre mot clé appuie, donne plus d’intensité à l’idée qu’on veut faire passer. D’autres utilisations existent sûrement mais c’est cette dernière qui semble le plus en vogue dans notre façon de nous exprimer. À tel point que, notamment parmi la jeunesse, mais pas seulement, on a l’impression que le banal devient remarquable, significatif : “c’était vraiment trop bien, il faut vraiment qu’on le refasse !”.

D’autres inconvénients existent. Non seulement nos oreilles peuvent se fatiguer d’entendre le mot toutes les cinq secondes, mais il devient également difficile de discerner les crans ou les degrés d’importance des idées énoncées. En effet, comment capter quelles sont les informations les plus importantes dans des conversations où le mot apparaît pour qualifier la plupart d’entre elles ? Et puisque nous y sommes, nous pourrions presque convenir que si tout est important, alors… rien n’est important ! 

Dans ce cas, force est de constater que ce manque de diversité et de nuances rend les conversations bien moins exaltantes qu’elles ne se réclamaient au départ… 

En clair, “vraiment” doit être utilisé avec parcimonie. 

Quant au lecteur de l’Évangile, il sera surpris d’entendre Jésus être à la mode ! Combien de fois, en effet ce dernier n’a-t-il pas ponctué ses discours d’une phrase similaire ! “En vérité, je vous le dis”. Pour une traduction plus dynamique certains proposent : “Vraiment, je vous l’assure”. Ici, Jésus n’est pas sur la défensive, comme voulant appuyer un propos dont on imagine que les auditeurs auront peine à croire (une autre utilisation très présente dans les bouches d’aujourd’hui). Non, Jésus utilise en fait une formule hébraïque très connue. Celle qui vient habituellement marquer la fin des prières. Mais ici, le “amen” final est… inaugural ! Or, de tous les maîtres et autres rabbins juifs, Jésus a été le seul à oser utiliser l’expression de cette manière. S’il l’a fait, c’était pour affirmer sa pleine autorité. Car Jésus avait conscience que les paroles qui sortaient de sa bouche étaient non seulement vraies, mais vérité. Plus que le “vraiment” (utilisé à toutes les sauces) des temps modernes, le “Amen, amen, je vous le dis” de Jésus avait de quoi rappeler à ses auditeurs l’introduction des prophètes d’antan : “Ainsi parle le Seigneur”… Ainsi, quand Jésus s’exprimait, c’était Dieu qui parlait. Pas de doute. Pour les évangélistes c’était bien ce qu’il fallait comprendre…

Tous les “vraiment” ne se valent donc pas. Si dans nos bouches il sonne comme un tic de langage, dans celle de Jésus, il nous prépare à entendre les vraies paroles de Dieu ! Voilà qui fait vraiment (!) toute la différence !

Kévin Commere