Vaccinés… et majeurs ?

Elle n’en finit pas la pandémie, le temps est suspendu. Notre besoin viscéral d’aller de l’avant – ou au moins d’en avoir la sensation – alimente des préoccupations toujours nouvelles. Les confinements se succèdent, chaque fois un peu différents, tentant de concilier nécessités vitales et nouveaux manques ressentis. Et la liste des insatisfactions ne cesse de croître au long du temps, tant la nostalgie du bon vieux temps gagne du terrain. 

Qu’elle était belle et bonne la vie d’avant l’épidémie ! Terrasses de cafés ensoleillées, relations agréables, vie culturelle intense et riche, conditions de travail motivantes… N’allez pas me dire qu’il y avait des manifestations quasi quotidiennes contre une vie jugée insupportable, des rues commerçantes vandalisées chaque samedi… Cela a-t-il vraiment existé ? L’heure est aux souffrances d’aujourd’hui et à la colère qu’elles engendrent.

Je dois un aveu, j’ai le privilège d’avoir été vacciné contre la covid. Privilège de l’âge, même si l’accès au vaccin n’a pas été aussi aisé qu’on aurait pu le penser. Majeur et vacciné, que rêver de mieux ! La garantie d’échapper à la contamination, et la liberté retrouvée. Mais il faudrait beaucoup de naïveté pour croire à ces fausses promesses ; la vaccination est un bouclier bien poreux face aux ruses du virus.

Pourtant, la pression est de plus en plus forte pour réclamer ce nouvel élixir, échappatoire à la pandémie, voire accès au salut. Oubliés les rejets d’hier, il nous faut d’urgence ce vaccin pour vivre ! Pour revivre… comme avant. Bien sûr, il faut établir des priorités, déterminer qui doit être vacciné en urgence. Là, aucune hésitation, chacun sait qu’il est prioritaire. Les lésés, oubliés, méprisés n’ont donc pas fini de se presser au portillon. Mais attention, pas question d’effets secondaires indésirables ! Il nous faut des garanties ! Il s’agit de notre vie quand même, alors il est normal d’être prudent ! Notre vie nous appartient, n’est-ce pas ? 

Alors que l’impatience monte pour bénéficier enfin d’une protection contre un virus mortel, un autre débat ressurgit de façon inattendue : laissez-nous choisir librement de mourir ! Mourir comme je veux, si je veux, quand je veux. Là aussi, « l’opinion », comme on dit, serait favorable à la liberté de mourir avant son heure. Il est temps d’abolir ces expressions défraîchies évoquant une mort survenue en son temps ou trop tôt. Plus question de dire « ce n’était pas mon heure » après avoir échappé miraculeusement à la mort. 

Place au certain, au maîtrisé ! Les experts doivent nous dire quand le virus sera vaincu ; on a besoin de visibilité n’est-ce pas ? En attendant ils doivent nous donner les moyens d’y échapper… ou alors de choisir librement de mourir si nous ne sommes pas infectés.

« L’homme est un animal doué de parole » disait Aristote il y a bien longtemps. Cet animal ne pourrait-il pas utiliser un peu moins son don et écouter davantage son Créateur ? Une occasion de prouver que, vacciné ou non, il est enfin majeur. Ce serait un grand pas pour l’humanité.

Pierre Lugbull