Impossible de passer par la ville du Puy en ignorant sa cathédrale et ses lentilles vertes. La cathédrale s’impose par sa situation perchée et ses dimensions imposantes. Quant aux lentilles, elles sont déclinées à l’envi sur les enseignes commerciales. Nourriture spirituelle et nourriture terrestre, l’équilibre parfait… ou presque… On souhaiterait la cathédrale plus accessible aux perclus, et elle ne perdrait rien à se priver de sa table miraculeuse « des fièvres » ou de sa vierge noire. Bien au contraire…
A l’écart de ces lieux drainant des foules de pèlerins aux motivations les plus diverses, il est un endroit discret à l’écart des rues animées. Pourtant, lui aussi se réfère à ce qui a participé à la renommée de la région : l’atelier-conservatoire national de la dentelle du Puy. Huit dentellières, y travaillent dans un silence monacal. Et pourtant, on est saisi par l’atmosphère paisible émanant de la bientôt retraitée à la jeune fille recrutée récemment par concours.
Passionnée par son ouvrage, chacune prend le temps d’inviter le visiteur à entrer dans son univers. Un univers insoupçonné, bien au-delà des fils, des fuseaux ou des épingles. On apprend qu’au départ de toute œuvre dentellière, il y a… un créateur. Ainsi, lorsqu’un dessin d’un artiste attire l’attention du très officiel Mobilier National, cette œuvre est achetée afin de la valoriser sur d’autres supports. Certains de ces dessins sont confiés aux dentellières du Puy afin de les sublimer par leur art.
Le créateur présente d’abord à la dentellière ce qu’il cherche à exprimer. A charge pour elle de s’en imprégner afin de déterminer l’arrangement géométrique de fils le mieux adapté. Puis vient le choix des matières, des qualités, des couleurs pour s’approcher au plus près des souhaits du créateur. Quelques premiers échantillons valident le chemin choisi avec le créateur. Des centaines d’heures, voire des mois de travail déboucheront sur l’œuvre finale. Seule compte la qualité du résultat.
La dentellière n’hésite pas à tenter devant vous un croisement de fils, puis, insatisfaite, le défaire patiemment, la perfection étant seule acceptable. Son désir d’honorer la confiance du créateur de l’œuvre l’habite tout entière. Chaque échec est l’occasion d’approcher encore mieux le projet du créateur.
Une fois terminée, l’œuvre sera installée dans une des demeures de la République, ministère, préfecture ou ambassade. Il sera fait mention du nom du créateur… mais pas de la dentellière. L’œuvre peut aussi rejoindre un tiroir des réserves du Mobilier National, attendant de trouver la place qu’elle mérite. Humilité des dentellières acceptant paisiblement anonymat et non maîtrise de l’avenir de leur travail. Humilité et pourtant joie et fierté de participer à une œuvre qui les dépasse.
Les dentellières du Puy ignorent certainement qu’elles sont une parabole vivante de la vocation de l’humanité. Homme ou femme, chacun appelé à refléter l’image de son Créateur, attentif à bien tresser les fils de sa vie, prêt à revenir en arrière, cherchant constamment à ne pas trahir son Créateur.
Utopie ? Non ! C’est justement pour rendre possible cette reconstruction que Jésus est venu.
Pierre Lugbull