Juin 1944, les troupes alliées débarquaient sur les plages normandes précipitant l’agonie de la folie sanglante d’un mégalomane qui continue pourtant à susciter des émules. Héroïsme, sacrifice, fraternité, liberté alimenteront les discours du 80 ème anniversaire. Qu’en penseraient les « héros » dont les dépouilles sacrifiées peuplent les plages ?
Mon ami Daniel, a vécu les évènements à l’autre bout, aux frontières de l’est. Plus âgé que moi, mais néanmoins ami ! Sa famille, allemande d’origine, exploitait des fermes voisines. Celle de l’oncle de Daniel tantôt en Allemagne, tantôt en France, était chaque fois ruinée par les armées de passage. Il opta finalement pour la nationalité française.
Le père de Daniel, enrôlé comme soldat du côté allemand ne revint pas de la guerre. Sa mère ne survécut qu’en travaillant comme esclave chez un homme respecté de tous, citant la Bible avec autorité. Un jour, elle s’enfuit avec ses 2 petits, rejoindre son beau-frère devenu français, incertaine de l’accueil dans cette famille. Mais c’était la femme de son frère et la ferme avait besoin de bras, il l’embaucha.
Du haut de ses 7 ans, Daniel voyait le ciel s’éclaircir : sa mère revivait, il pouvait rêver. Mais son oncle ne lui en laissa pas le temps. Cet oncle dont l’autorité naturelle était autant crainte que respectée, le convoqua dans son bureau : « Quel est ton projet ? ». Pris de court, une réponse finit par venir : « avoir un vélo » ! L’oncle remarqua simplement : « Un vélo, c’est cher et tu n’as pas d’argent ».
L’oncle lui réservait un autre projet : « Tu ne parles pas français, tu iras à l’école du village ». Pas vraiment ce que Daniel espérait. Après un silence, l’oncle reprit : « Pour l’argent de ton vélo, je peux t’embaucher tes jours de congé, une fois tes devoirs faits. J’ai besoin d’un chasseur de souris, la ferme en est infestée ». « Ça, je veux bien ! ». « Alors signe ton contrat d’embauche ! ».
Chaque lot de queues de souris apporté au bureau de l’oncle faisait l’objet d’un cérémonial de vérification avant d’être rangé comme preuve, suivi de l’établissement d’un reçu. Chaque fin de semaine, Daniel accompagnait les autres ouvriers pour percevoir son salaire. Après une année de chasse, il put se payer un vélo. Seulement alors, le gamin réalisa que l’oncle avait peut-être surestimé le prix des queues de souris.
L’oncle, pudique et réservé, ignorait les conseils d’empathie à manifester aux orphelins traumatisés. Pas non plus de cadeaux censés le consoler. Mais dans l’argent gagné par son travail, cet argent réputé sans odeur, Daniel a senti un arôme subtil : le respect pour le gamin qu’il était, l’amour sans paroles qu’il contenait.
Plus tard, jeune adulte, sa révolte contre l’hypocrisie religieuse de son enfance s’est éteinte dans la découverte de l’Evangile. Il y reconnut le moteur de la foi profonde de son oncle, et ce parfum inoubliable : celui du véritable amour de Jésus.
Pierre Lugbull