Les bonnes affaires

Les périodes de soldes agitent invariablement les médias : des pages ou des minutes d’antenne remplies sans efforts. On peut même recycler les archives sans prendre grand risque. Bref, le sujet idéal pour journaliste ne désirant pas se creuser la tête. Pourtant, le sujet mérite réflexion. Même si certains aspects atteignent leur paroxysme lors des soldes, ils ne se limitent pas à cette période. On connait le classique : « Achetez maintenant ; payez dans 3 mois ».

La surenchère fait que les slogans s’affinent : « Ne ratez pas une bonne affaire ; nous finançons le montant nécessaire ». Il ne faut pas que je manque l’occasion. Je n’ai pas les ressources suffisantes ? Pas de problème, quelqu’un finance et prépare à ma place le dossier ; juste une signature à apposer.

Mieux encore : « Faites-vous plaisir maintenant ; vous paierez plus tard ». C’est quand plus tard ? En tout cas, ce n’est pas maintenant et c’est l’essentiel. Plus tard, c’est indéfini. Par contre, maintenant, c’est maintenant. Le plaisir maintenant, le paiement dans un lointain nébuleux : le plan parfait. Les professionnels du marketing n’ont rien inventé. Avant les offres en ligne, un expert en la matière était déjà actif quelque part, en Eden : « Regarde ce beau fruit, fais-toi plaisir maintenant ; quant au paiement, tu verras plus tard ».

Que pèse le plus tard quand l’offre du maintenant est tellement prometteuse ? Tellement porteuse de plaisir potentiel. S’offrir l’objet coup de cœur, c’est un moment de bonheur intense. Un bonheur qui peut durer quelques mois… ou quelques jours. Vient alors le temps de dénicher l’autre acquisition qui réinjectera une nouvelle dose de bonheur. Et la barque financière du plus tard se charge, jusqu’au jour où elle commence à passer sous la ligne de flottaison. Payer ? Déjà ! J’aurais encore tant et tant d’autres plaisirs à m’offrir.

« Fais-toi plaisir maintenant, tu paieras plus tard… peut-être jamais ». Les millénaires passent, l’appel devient toujours plus pressant… grâces soient rendues à internet. Toute la gamme de plaisirs immédiats à portée de main, tous les modes d’emploi disponibles. Non seulement les objets indispensables, mais les offres les plus diverses destinées à satisfaire attentes et désirs physiques, psychologiques ou amoureux. Rien ne doit entraver la quête de bonheur personnel.

Pas question donc de vérifier la pertinence du conseil ou du régime miracle, de s’interroger sur  l’addiction à un site internet, de laisser passer une aventure amoureuse attrayante… Ma famille, mon conjoint, mes enfants n’ont pas à gâcher mon bonheur. Ce qui m’attire est tellement désirable, sans facture à régler comptant, et au montant assez vague.

Pourtant, c’est inéluctable, la facture est présentée un jour. Et son montant est toujours jugé disproportionné à la satisfaction d’un moment. « Plus tard » est devenu « Trop tard ». Et personne pour prendre en charge la publicité mensongère.

« Pourquoi pesez-vous de l’argent pour ce qui ne nourrit pas ? Pourquoi travaillez-vous pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez-moi donc, et vous mangerez ce qui est bon, et votre âme se délectera de mets succulents ». Ésaïe 55. 2

Pierre Lugbull