Ce début d’automne était tellement doux qu’on se laissait aller à imaginer qu’il n’en finirait pas. Quelques feuilles tourbillonnaient de temps à autre, mais sans dépouiller les arbres. Et puis, brusquement, l’érable de mon voisin se mit à perdre le feuillage jaune d’or qui, jusque-là illuminait la grisaille ambiante. Guère plus de deux jours pour que la majorité de ses feuilles tapisse le sol. Pourtant aucun changement notoire de vent ou de température ne pouvait en être la cause. C’était simplement l’heure pour l’érable de franchir cette étape. Bois et forêts ont suivi le mouvement, passant par toutes les couleurs d’automne avant de se séparer de leurs feuilles, chaque espèce en son temps.
Depuis un certain nombre d’années, les arbres sont propulsés au rang de remparts au dérèglement climatique. D’abord comme capteurs du vilain dioxyde de carbone désigné responsable de tous nos maux. Mais ce rôle au fort goût de chimie trouve difficilement sa place chez des admirateurs davantage portés par une quête spirituelle.
On n’entre plus en forêt pour s’emplir les poumons d’un air purifié des pollutions de nos cités. Goûter les parfums de feuillus, de résineux, de sous-bois, de mousses ou de champignons ? Trop banal ! C’est juste digne de rustres ignorant la véritable personnalité des arbres. Aujourd’hui, l’heure est aux « bains de forêt », rituels codifiés pour initiés. Prendre les arbres dans ses bras est censé introduire dans une communion permettant d’en capter les vibrations apaisantes. Les arbres d’aujourd’hui doivent être approchés avec respect, guidés par des coachs autoproclamés. Initiant les adorateurs au bain rituel purificateur, ces nouveaux prêtres introduisent les adorateurs au mystère de la forêt. Notre société ayant perdu tout repère, renoue avec l’animisme du fond des âges.
Mais revenons vers l’érable désormais dépouillé. D’autres arbres et arbustes ont à leur tour perdu leurs feuilles. Et comme chaque année, j’ai dû tailler l’un d’eux. Cet arbre dont j’ignore le nom, donne naissance à des branches quasi rectilignes partant en tous sens : plus de 3 mètres de long en une année. D’où une taille annuelle sévère jusqu’au tronc. Sacrilège !
Peu sensible aux ondes et vibrations supposées de l’arbre, je m’interroge : comment fait-il pour transformer les microéléments captés en terre, dans l’air, dans l’eau en autant de bois solide ? Les combinaisons chimiques générant bois, fleurs et fruits m’ont toujours interpelé. Alimentés par la même terre, la même eau et le même air, lilas, forsythia, cognassier du Japon ont pourtant chacun leur personnalité.
Puissances spirituelles ou constructions chimiques complexes ? Les arbres n’existent que par la volonté du Créateur : « Dieu dit : Que la terre se couvre de chaque espèce d’arbre ». Mais Dieu voit en eux davantage que des objets, ils sont ses créatures : « Que les arbres poussent des cris de joie devant l’Eternel, car il vient pour gouverner la terre et les peuples selon la vérité qui est en lui » (Psaume 96).
Ah, si ces autres créatures, les hommes, avaient un peu de leur sagesse !
Pierre Lugbull