En fait, c’est un talk-show

Mon père trouvait que la présentatrice des infos télévisées parlait de plus en plus vite. Il n’évoquait pas son âge ralentissant sa gymnastique intellectuelle d’auditeur. Voilà qu’à mon tour je me pose les mêmes questions : suis-je atteint du même syndrome ?

Ne me fiant pas à mes ressentis, j’interroge d’autres expériences. Connaissez-vous les péripatéticiens ? Tant pis pour la mode de notre époque, par respect je ne féminiserai pas ce terme… Restons-en à ces élèves philosophes grecs se promenant avec leur maître tout en écoutant son enseignement. C’est Aristote qui lança la mode dit-on.

Ils discutaient donc en marchant dans les rues d’Athènes. Je devine les moments de silence après une remarque particulièrement profonde du maître. Pauses oratoires nécessaires à l’assimilation des propos échangés, tout en marchant sans presser le pas.

Quelques 350 ans plus tard, Jésus perpétuait cette pratique sur les chemins de Galilée. Je sens les disciples à l’écoute, au rythme de la marche. Pas la marche connectée d’aujourd’hui où souci de la performance et enregistrement des battements cardiaques excluent toute autre préoccupation.

Jésus et ses disciples conversaient, passant des moissons à l’aspect du ciel. Franchement, vous voyez Jésus courir, avec ses disciples à sa suite, haletants ? Comment auraient-ils réussi à se rappeler autant de ses paroles au rythme du running ? Au lieu des évangiles, ils n’auraient laissé que la relation de leurs records personnels.

Mais nous vivons dans une époque moderne où même les chansons sont gagnées par l’urgence. Comment s’exprimer sans avoir recours au rap ? Quant aux interviews, elles doivent être menées à un train compatible avec l’information galopante.

Et pourtant, il paraît que la télé réalise ses meilleures écoutes lors des talk-shows, ces discussions à plusieurs dont l’offre est abondante et variée. Véritables échanges ou empoignades dont le but est de ridiculiser l’autre, tout est sur le marché. Pas de temps mort, répliques fulgurantes. Gare à ceux qui ne dégainent pas assez vite !

Dans la vie quotidienne, il y a les experts en débit rapide, et les moins doués meublant leurs hésitations par les inévitables « en fait ». Des en fait permettant à la pensée de tenter de rattraper le rythme de la parole. En fait (!) Jésus utilisait aussi cette expression. Eh oui ! : « En vérité, en vérité, je vous le dis… ». On aurait pu légitimement traduire par « en fait, en fait… ». La différence, c’est que lorsque Jésus, dit en fait, c’est pour souligner un point important à retenir en priorité. Tandis que nos en fait ne servent qu’à masquer les trous de nos discours.

Tiens, si nous réservions nos en fait à l’expression de notre pensée profonde ? Comme le fait Jésus, comme le ferait son disciple ? Ralentir notre débit, prendre le temps de penser nos paroles. Terrible contrainte : ne risque-t-on pas d’être marginalisés dans le brouhaha ambiant ? Pourtant « il suffit au disciple de ressembler à son maître » (Matthieu 10.25).

Pierre Lugbull