La justice et la grâce

Il est risqué de parler d’une personne vivante. Mais son entourage ayant appelé les médias et le public à formuler un avis sur son histoire, il est difficile de feindre l’ignorer.
Suite aux violences subies pendant des décennies, Jacqueline Sauvage a assassiné son mari. Le jury populaire chargé de la juger l’a condamnée à 10 ans de prison. En appel, les magistrats ont confirmé cette peine. La justice rendue en accord avec la loi était satisfaite.
Après une grâce partielle, le Président de la République a accordé à Jacqueline Sauvage la grâce totale le 28 décembre 2016 ; elle est sortie aussitôt de prison. Cette grâce ne signifie pas amnistie. La condamnation reste inscrite au casier judiciaire, mais la sanction pénale a été annulée.
Les magistrats ont protesté, estimant que la justice était bafouée : un crime doit être puni. Ils sont dans leur rôle de défenseurs de la justice telle que la loi du pays la définit. Selon le vieux principe latin, « la loi est dure, mais c’est la loi ». En ignorant la loi, c’est le vivre ensemble qui peut être ébranlé.
Le Président, lui, a usé de son droit de grâce inscrit dans la Constitution du pays. Il est dans son rôle en accordant sa grâce à qui il veut, sous réserve de ne pas en abuser. En adoucissant une décision de justice, il ouvre une petite fenêtre : la vie ne peut se résumer à l’application de la loi dans toute sa rigueur.
La justice et la grâce ne font pas bon ménage. Le flot des commentaires sur cette affaire a montré combien chacun patauge dans un entre-deux. Pour beaucoup, Jacqueline Sauvage n’aurait pas dû être condamnée : l’homme qu’elle a tué ne méritait pas de vivre, donc son acte était normal. C’est réduire la grâce accordée à la simple reconnaissance du « bon droit » de la meurtrière. Une petite grâce bon marché validant l’absence de culpabilité. En somme, une grâce méritée. Mais une grâce méritée est-elle encore une grâce ?
Quand Dieu parle de culpabilité, il n’y a pas d’échappatoire : « Il n’y a pas de juste pas même un seul » (Romains 3 :10). Nous voilà donc rattrapés à notre tour par la justice, pas n’importe laquelle, celle de Dieu ! Et sur la justice, il est intransigeant : pas de circonstance atténuante jouant sur le sentimentalisme. La condamnation est assurée.
Mais le Dieu de justice est aussi de façon étonnante celui qui fait grâce. Et quand il fait grâce, celle-ci efface la faute. « Le don gratuit de Dieu a eu pour résultat de rendre justes les êtres humains malgré leurs nombreuses fautes… Par le seul Jésus–Christ, Dieu les rend justes. » (Romains 5:16-18).
Qui d’autre que Dieu peut ainsi unir justice et grâce ? Accorder sa grâce, tout en satisfaisant la justice lui a coûté très cher : son Fils condamné à notre place pour assurer notre liberté. Une réalité rendant bien ternes les débats sur « l’affaire Sauvage ».
Pierre Lugbull