Franchir le seuil

Un seuil est fait pour être franchi. D’un côté le monde extérieur, de l’autre un lieu plus intime. Franchir le seuil, c’est entrer là où l’on est accueilli, où l’on peut se reposer. Franchir le seuil a le goût d’une promesse, celle d’un intérieur protégé où une relation peut se nouer.
Les docteurs ès spécialités diverses se sont emparés de ce mot, l’appliquant à toutes sortes de contextes. Ainsi, on évoque un seuil de douleur, un seuil de tolérance, un seuil de pauvreté… Des seuils que l’on ne souhaite pas forcément franchir ou d’autres qui tiennent davantage de la porte fermée.
La vieille pierre de seuil des maisons d’autrefois s’offrait de plain-pied, au niveau de nos pas. Désormais, les nouveaux seuils se présentent verticalement : on ne peut être qu’au-dessus ou qu’en-dessous. Et comme le veut toute approche scientifique de bon aloi, on se doit aussi d’étalonner, de chiffrer la position de la personne concernée.
Selon ces échelles de mesures, la société humaine se partage en deux communautés séparées par un « seuil de pauvreté ». Il y a ceux qui sont au-dessus du seuil et il y a ceux qui sont en-dessous. C’est quand même mieux de vivre au-dessus qu’en-dessous. Comme le titrait un film en 1980 : « Mieux vaut être riche et bien portant que fauché et mal foutu ». Ce ne fut certes pas un grand moment du cinéma, mais le titre portait une certaine vérité. Accès à la santé, à des formations, à un certain niveau de connaissances ne rime-t-il pas souvent avec les facilités financières ?
C’est ainsi que le seuil de pauvreté s’accompagne invariablement d’un autre seuil moins chiffrable : celui du statut de la personne. Et avec ce statut, le rang que la société lui octroie, le respect qu’on lui accorde, l’estime qu’on en a. La tendance naturelle est de n’entrer en relation qu’avec ceux qui nous ressemblent, ceux du même « rang » selon nos normes. Et donc d’établir un cordon sanitaire tenant les autres à distance.
Jésus disait : «  Les bien-portants n’ont pas besoin de médecin ; ce sont les malades qui en ont besoin.  Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs. » (Matthieu 9:12-13)
Déclaration à des « bien-portants » ou coup de semonce à des « bien-installés » dans la vie ? Tellement bien qu’ils n’ont besoin de personne.
Jésus poursuit : « Je désire que vous fassiez preuve d’amour envers les autres plutôt que vous m’offriez des sacrifices ». Et encore : « Quand tu offres un repas de fête, invite les pauvres, les infirmes, les boiteux et les aveugles » (Luc 14:13).
Quand les chrétiens se sentent tellement bien entre eux qu’ils ne fréquentent plus que ceux qui leur ressemblent, il y a péril. Un seuil de pauvreté étalonné verticalement, ça n’est pas une bonne nouvelle. La bonne nouvelle, c’est un seuil de plain-pied accessible à ceux qui veulent entrer. Juste une question de conformité à l’Evangile !
Pierre Lugbull