Culpabilité

Personne n’ose élever la voix, mais tout le quartier en parle. L’horreur du drame occupe tous les esprits. Il faut dire que l’évènement laisse abasourdi : la vieille dame du coin de la rue a été assassinée en pleine nuit dans son lit. De quoi provoquer un frisson d’effroi. Et bien vite l’effroi cède la place à la stupeur : deux jeunes garçons avouent leur crime.
Briser le silence est nécessaire pour déverser le trop plein d’émotion. Il y a eu d’abord ceux qui clamèrent leur peur d’être à leur tour victimes. Demandant des mesures immédiates pour remédier à l’insécurité. Pointant du doigt les insuffisances de ceux qui devaient assurer leur quiétude. Mais l’arrestation rapide des auteurs étouffa ces discours.
C’est que les auteurs n’étaient pas des malfrats que les autorités laissaient courir impunément. Non, les auteurs étaient jeunes et en partie du quartier, des coupables déroutants. Clamer son exigence de châtiment exemplaire devient alors délicat. Le visage familier des coupables crée un malaise, comme si chacun portait une part de responsabilité. Malaise indéfinissable, insidieux, échappant à tout raisonnement.
On fera tout pour étouffer ce sentiment désagréable. On se rassurera en invoquant la désagrégation morale de la société ; la société, ce n’est pas nous bien sûr. On accusera le laxisme des parents ; nos propres enfants sont exemplaires grâce à nos efforts éducatifs, n’est-ce pas ? Certes, il y a une part de vérité dans ces propos nous plaçant hors de la société. Laissant au monde ses turpitudes, et aux autres leurs problèmes. Mais les compromis inévitables avec ce monde bien réel nous rattrapent inévitablement.
Pour les deux garçons, viendra le temps des avocats.  Chacun ne plaidera-t-il pas que son client a été entraîné contre sa volonté ? Le véritable criminel n’est-il pas le comparse ? Pauvres tentatives de disculper à bon compte sans compter les incontournables : l’environnement, la société. Quitte même à oser s’interroger sur l’attitude de la vieille dame : une réaction inappropriée n’aurait-elle pas paniqué leur client ? Quand il s’agit d’atténuer une culpabilité, l’odieux est illimité.
Cependant, quelle que soit la peine prononcée un jour, lourde ou légère, rien ne sera réglé pour ces deux garçons. Certes, ils auront payé devant la société, mais qu’est-ce qui effacera leur faute ? Une atténuation de responsabilité obtenue par l’art du discours efface-t-elle la culpabilité ?
Comme l’expérimentent les voisins, et même si nous n’avons pas commis de telles horreurs, le sentiment de culpabilité nous assaille aussi régulièrement. Le foisonnement de techniques vantant la nécessité et la possibilité de nous en libérer en témoigne. Pourtant, malgré tous les efforts consentis, le malaise enterré resurgit bientôt, insidieusement.
Un meurtre abject sur la conscience, le roi David a aussi tenté l’oubli, avant d’avouer :
« Seigneur, tant que je ne reconnaissais pas ma faute, mes dernières forces s’épuisaient en plaintes quotidiennes. Mais je t’ai avoué ma faute, je ne t’ai pas caché mes torts. Et toi, tu m’as déchargé de ma faute » (Psaume 32)
Si efficace et si simple… pour vivre une année véritablement nouvelle !
Pierre Lugbull