Les yeux dans les yeux

Jusqu’à il y a quelques mois j’étais un grand utilisateur de poussette ! Mes épaules m’ont remercié toutes les fois où j’ai pensé à mettre l’engin dans la voiture ! Car oui, il y a eu des jours où, dans mon plus grand malheur, je l’ai oublié. Mes épaules et mon dos ont donc senti peser le poids du petit dernier.
Un dimanche matin je suis donc sorti, poussette en main, pour endormir le petit quelques minutes avant le début du culte. L’entreprise était un peu périlleuse vu le peu de temps à ma disposition pour l’anesthésier par le passage des roues sur les pavés du centre-ville. J’y suis tout de même parvenu.
Dans ce petit tour matinal j’ai eu l’occasion de croiser plusieurs personnes qui m’ont rappelé quelque chose de très commun mais d’assez triste pour autant. En effet, lorsque deux personnes dans une rue se croisent, elles se sont d’abord vues au loin (à moins d’être les yeux rivés sur leur smartphone, mais ça, c’est une autre histoire!). Elles se sont peut-être même regardées pour savoir quelle trajectoire emprunter afin de ne pas se bousculer, ou encore tout simplement par curiosité de savoir qui est la personne qui vient en face.
Mais au moment de se croiser, comme par magie, soit les yeux de chacun se baissent, soit on entre dans le mode « freeze » comparable à nos ordinateurs lorsqu’ils ne savent plus quoi faire. On regarde devant soi, et surtout, on ne tourne pas les yeux vers la personne que l’on est en train de croiser.
C’est tout de même étonnant ! C’est comme si l’autre ne devait pas être pris en compte. Mais dans un sens, si je le sais c’est soit parce que moi-même j’ai utilisé ce mode (!), soit parce que j’ai cherché à capter le regard de l’autre pour le saluer… en vain. D’ailleurs dans cette entreprise j’ai pu passer pour un voyeur ! Surtout si la personne croisée était une femme de mon âge…!
Jésus a cherché le regard des gens. Pas seulement quand il croisait des personnes dans la rue. Il a vraiment, à chaque instant, cherché le regard de l’autre pour voir, entendre, comprendre son histoire afin de mieux l’accueillir et l’illuminer du regard de sa grâce.
Je pense au récit de cette femme à la perte du sang (Luc 8). Cette femme incognito, noyée dans la foule, touchant le vêtement de Jésus pour être guérie. Au-delà de toute logique et raison, Jésus l’a vraiment cherchée cette femme. Même si aucun verbe du champ lexical de la vue n’est utilisé dans ce récit, on comprend toutefois sans peine que Jésus voulait la voir pour lui parler.
Le regard, c’est par là que passe la communication. C’est par là que l’on voit l’autre, que l’on comprend ses émotions, ses attentes, son état d’âme. C’est au moment où il voit cette personne se démarquant soudainement de la foule que Jésus la félicite et l’encourage lui confirmant la bénédiction déjà reçue dans son corps.
Quelle fut d’ailleurs la plus grande bénédiction pour elle ? La guérison physique ou le fait d’avoir croisé le regard miséricordieux du Sauveur ? Le texte ne le dit pas.
C’est un peu la même histoire lors du dîner entre Jésus et Simon le pharisien (Luc 7). Jésus questionne son hôte : «Tu vois cette femme?». Bien sûr qu’il l’avait vue ! Elle était en train de laver les pieds du Seigneur ! Comment aurait-il pu la louper ? Et pourtant en lui demandant, Jésus remet peut-être en question la superficialité (voire le dédain) avec laquelle Simon l’a regardée. Jésus, lui, avait compris ce qu’elle avait dans le cœur. Il ne l’avait pas ignorée du regard.
J’ai parfois du mal à regarder les autres dans les yeux et pourtant il s’y passe tant de choses. J’ai du mal à regarder les autres dans les yeux, alors que le regard de Jésus sur ceux qu’il a rencontrés me touche profondément.
Seigneur, change mon cœur pour que je ne détourne pas le regard. Fais-moi voir comme tu vois !
Kévin Commere