Le gendarme et le burkini

Louis de Funès n’est plus là pour faire la chasse au burkini sur la plage de Saint-Tropez. Dommage. Les plus hautes autorités de l’État, désemparées devant le péril, auraient bien besoin de ses services éclairés. C’est que le burkini menace désormais le territoire national. Non content de s’en prendre à la dignité des femmes, il serait même une atteinte à la décence… Qu’en penseraient les autorités d’autrefois ? Elles qui eurent à lutter contre des femmes impudiques se montrant sur les plages seulement emmaillotées des genoux jusqu’au cou ? Avant qu’elles poussent l’audace jusqu’à découvrir leurs jambes. Quand le bikini pointa son nez, le gouvernement l’interdit dans l’urgence. Le créateur de cet échantillon de tissu l’avait nommé ainsi en référence à la première explosion atomique sur l’atoll de Bikini. Le bikini explosa jusqu’en France, les autorités avaient perdu la bataille. Or, voilà que le burkini vient remettre en question un siècle de progrès du maillot de bain. Les autorités, toujours à l’avant-garde du combat de la liberté, se doivent à nouveau de réagir avec autorité et discernement. Les valeurs éternelles de la République sont en jeu. Ainsi la guerre au burkini est prêchée du haut des tribunes de l’État. Rappel saisissant des pasteurs d’autrefois légiférant du haut de leur chaire sur la longueur des robes. Les pasteurs ont prêché et les robes des chrétiennes se sont raccourcies… inexorablement. Au nom de la louange due au Créateur. N’est-ce pas l’honorer que mettre en valeur la beauté d’un corps qu’il a si joliment façonné ? Tout en sacrifiant peu ou prou à la mode du moment… Sacrifiant tout autant à une mode héritée de leur culture, des femmes sont friandes de hidjabs aux vifs coloris ou de burkinis dessinés par des couturiers renommés. Des tenues – elles le reconnaissent – faites pour plaire, pour attirer le regard. Et cela en respectant leur foi, à la limite des règles religieuses imposant de voiler leur corps. Elles aussi, sans grand risque d’être démenti, animées du même désir de plaire. La loi, la foi, la liberté, l’oppression, la modernité, les archaïsmes, la sexualité, la décence… Toute la complexité du monde réunie dans un morceau de tissu. Les publicitaires ont réussi un coup de maître, orchestrant le mariage improbable de la burka emprisonnante avec le bikini minimaliste. Des milliards de dollars en perspective pour le marché du prêt à porter. Les responsables politiques sont déboussolés, Louis de Funès n’y peut plus rien, mais Mammon a déjà gagné. Que dit Jésus de tout cela ? « Vous paraissez beaux à l’extérieur, vous le nettoyez, mais l’intérieur reste rempli de vos mauvais désirs. Extérieurement vous donnez à tout le monde l’impression que vous êtes fidèles à Dieu, mais intérieurement vous êtes pleins d’hypocrisie et de mal. Nettoie d’abord l’intérieur et alors l’extérieur deviendra également propre et beau. » (Matthieu 23:25-28) Le bikini et le burkini sont l’extérieur s’offrant au jugement public, mais ils reflètent mal la réalité intérieure. Alors, méfions-nous des jugements à l’emporte-pièce, comme de l’art de paraître.
Pierre Lugbull