Laver plus blanc

Depuis des décennies, les marques de lessives s’affrontent sur le thème de laver plus blanc, encore plus blanc… et même plus blanc que blanc ! Il faut trouver la formule qui impressionnera le consommateur. Mais à ce jeu, on atteint vite les limites. Comme disait Coluche dans un de ses sketchs : « Blanc, je sais ce que c’est comme couleur, c’est blanc. Moins blanc que blanc, je m’doute. Ça doit être gris clair ! Mais plus blanc que blanc, j’vois pas ».

Coluche ignorait certainement la célèbre toile « Carré blanc sur fond blanc » du peintre ukrainien Malevitch. Une œuvre de 1918, bien avant l’existence de ces super-lessives aux slogans tapageurs. Mais pour se démarquer du fond blanc, le carré blanc tire légèrement vers le gris clair. Pas de miracle donc. Coluche avait raison, même si les fabricants de lessives ont créé l’illusion du « plus blanc que blanc » par ajout de molécules phosphorescentes.

Laver plus blanc… L’exercice a été pratiqué de tout temps, avant même le slogan. Qui, ambitionnant un rôle politique, ne l’a pratiqué ? Ah les indignations dénonçant les errements de tel ou tel concurrent. Peu importe l’importance de la chose, il faut l’ériger en scandale. Sans oublier la pose outragée devant les caméras. Car celui qui accuse est censé être aussi innocent que l’agneau venant de naître, plus blanc que blanc.

Prétendre être plus blanc que les autres était déjà pratiqué au temps de la splendeur de l’Empire Romain. A Jérusalem, plusieurs partis s’affrontaient, visant la primauté sur la population juive : pharisiens, religieux nationalistes ; sadducéens, religieux libéraux ; zélotes, patriotes révolutionnaires. Les pharisiens étaient particulièrement doués dans la prétention à laver plus blanc que les autres. Drapés dans leur dignité de gardiens de la religion, ils veillaient à se présenter en personnages dignes et responsables, ultime rempart contre les risques d’atteintes à la pureté d’un peuple élu.

Ce milieu dans lequel a vécu Jésus, n’est finalement pas très loin du nôtre. C’est dans cette société fragmentée, qu’il choisit comme proches un zélote, donc un patriote (Simon), mais aussi un collaborateur de l’occupant (Matthieu). De quoi griller sa popularité des deux côtés dans les sondages d’opinion. Mais Jésus n’est pas dans la logique de la course au plus blanc. « À quoi bon gagner le monde entier, si c’est au prix de sa vie ? » disait-il.

Et alors qu’il va être donné en pâture à une population gavée de fausses rumeurs, il s’agenouille devant ses disciples pour laver… leurs pieds, un travail d’esclave. Perte de dignité le privant définitivement de l’admiration des foules. Mais il insiste : « Je vous ai donné un exemple pour que vous agissiez comme je l’ai fait pour vous ». Servir les autres plutôt que les dominer avec arrogance. Pourtant, Jésus reste une référence ineffaçable, alors que tant de chefs glorieux ont été relégués dans les poubelles de l’histoire.

A bons entendeurs de notre siècle, ivres de gloire et de domination, salut !

Pierre Lugbull